La Presse capitaliste est "libre". Vous y croyez ?

La grande presse capitaliste serait "libre", "neutre" "démocratique" et "indépendante". Elle n' est pas censurée, nous dit-on... En réalité, nous payons pour obtenir des scoops, des informations manipulées, destinés à fabriquer notre opinion. Elle vit principalement de la publicité reçue des grosses sociétés multinationales.

jeudi, février 24, 2005

LES MEDIAS SECURISES DU CAPITALISME : Interview de David Barsamian par les poteaux à Dahr Jamail

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LES MEDIAS SECURISES DU CAPITALISME : Interview de David Barsamian par les poteaux à Dahr Jamail

----- Original Message -----
From: Jean Marie Flemal
Sent: Thursday, February 24, 2005 4:55 PM
Subject: Interview de David Barsamian par les poteaux à Dahr Jamail
Bonjour,

En voilà encore un assez intéressant. C'est du tout frais et c'est non relu (pas le temps).

A plus tard, les urgences me rappellent...

JMF


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** Dahr Jamail's Iraq Dispatches **
** http://dahrjamailiraq.com **

23 février 2005

Un entretien avec David Barsamian

Journaliste, auteur et conférencier, David Barsamian est peut-être plus connu comme fondateur et directeur d’Alternative Radio <http://www.alternativeradio.org>, une émission hebdomadaire d’une heure traitant de sujets du domaine public. Lancée en 1986, cette émission qui, aujourd’hui, touche des millions d’auditeurs, est diffusée à partir d’un garage situé dans une ruelle de Boulder, dans le Colorado. A l’instar des « Dahr’s Dispatches » (Dépêches de Dahr Jamail) <http://www.dahrjamailiraq.com>, Alternative Radio est un médium d’information financé uniquement par le soutien de bénévoles.

Omar Khan. Vous avez déclaré dans les médias que « la majeure partie de la censure se fait par omission, non par commission ». Pouvez-vous illustrer ces propos dans le cas de la couverture des informations américaines sur l’Irak ?

David Barsamian. Il existe une relation structurelle entre les médias et le pouvoir de l’Etat. Ils sont étroitement associés. Qui sont les médias ? Pas seulement aux Etats-Unis, mais dans le monde entier, il s’agit d’une poignée de sociétés qui dominent ce que les gens voient, entendent et lisent. Ils ont été en mesure de fabriquer un consentement, tout particulièrement aux Etats-Unis, au sujet des guerres impérialistes d’agression. C’est exactement ma définition de la guerre en Irak : une guerre illégale et immorale. Je vais vous donner un seul exemple : le New York Times, ce grand journal libéral, a publié 70 éditoriaux entre le 11 septembre 2001 et l’attaque contre l’Irak, le 20 mars 2003. Dans aucun de ces éditoriaux, la Charte des Nations unies, le tribunal de Nuremberg ou quelque facette de la législation internationale n’ont été une seule fois mentionnés. Maintenant, ces gars-là savent que ces choses existent, et c’est un parfait exemple de censure par omission. Et ainsi, si vous avez lu le New York Times durant cette période, c’est-à-dire pendant les préparatifs de la guerre, vous n’aurez pas eu le sentiment que les Etats-Unis se préparaient à faire quelque chose qui constituait une violation grossière des lois internationales – et des lois nationales aussi, sur ce plan.
La façon de rapporter les faits en Irak a été vraiment déplorable : les gens parlent de la manière dont le niveau a baissé, dans le journalisme. Je ne pense pas qu’il a baissé. Je pense qu’il a disparu. Il n’est tout simplement plus visible. La servilité et la flagornerie du journalisme a atteint des niveaux répugnants et la catastrophe qui se déroule en Irak en est une conséquence directe. Le fait de ne pas rapporter les faits de la façon qui conviendrait entraîne d’énormes conséquences. Et, c’est triste de le dire, c’est le peuple irakien qui le paie en nombreuses vies humaines, et les Américains aussi, dans une moindre mesure.
OK. Vous avez dit des médias que c’était une « bande transporteuse ». Cela s’écarte du point de vue qui dit que de telles omissions résultent de manquements de la part des professionnels des médias. Au lieu de cela, votre métaphore semble suggérer un mode de production, plutôt que l’une ou l’autre espèce de conspiration.

DB. Décrire la réalité objective n’est pas conjurer une théorie du complot. Les mots « théorie du complot » sont devenus un terme de dérision utilisé contre les personnes qui s’engagent dans l’analyse de l’histoire officielle. Une façon d’écarter tous ceux qui défient l’interprétation officielle des événements consiste à dire qu’ils sont des théoriciens du complot. En d’autres termes, vous êtes un tocard, un crétin, vous croyez aux OVNI, aux extraterrestres, aux soucoupes volantes. Mais bien sûr qu’il y a manifestement des secteurs du complexe militaro-industriel qui tirent profit de la guerre. Ca n’a rien d’une théorie du complot. C’est un fait. Nous savons qui ils sont : Honeywell, General Dynamics, General Electric, Northrop Grumman, Lockheed Martin, Boeing, Raytheon. Voilà les principales entreprises militaires qui ont engrangé des centaines de millions de dollars en contrats d’armements. Ce sont eux, les principaux trafiquants d’armes. Ils ne se rencontrent pas sur des montagnes russes, la roue du Prater ou un manège de chevaux de bois. Ils se rencontrent dans des bureaux. Ils s’assoient à des tables. Ils boivent du café, ils mangent des beignets. C’est clair, ça se passe en plein jour…
Les Etats-Unis fabriquent 50% de toutes les armes exportées à travers le monde. Les Etats-Unis dépensent plus d’argent pour l’armée que les 15 principaux pays ensemble. Et ces dépenses augmentent de façon exponentielle. Le budget militaire approche 500 milliards de dollars. Ainsi, il y a manifestement des gagnants et des perdants. Et si vous avez des actions dans ces sociétés que je viens de mentionner, vous palpez, mon cher. C’est Byzance, pour vous.

OK. Comment la hausse de la concentration médiatique a-t-elle affecté ceci ?
DB. Dans « Media Monopoly », en 1983, Ben Bagdikian disait que 50 sociétés contrôlaient la plupart des médias. Elles se sont réduites à 28, puis 23, puis 14 et 10. Puis, dans son dernier bouquin, elles ne sont plus que 5. Cinq sociétés contrôlent les médias. Et, par médias, je ne parle pas que de télévision. J’entends les films hollywoodiens, la radio, les DVD, les magazines, les journaux, les livres, les livres sur bandes, les CD. Cinq sociétés.
De 1983 à aujourd’hui, en 2005, la hausse de concentration dans les médias est allée de pair avec celle du pouvoir de l’Etat et des sociétés, et avec la tendance croissante des Etats-Unis à devenir plus agressifs et plus militaristes : à témoin, l’invasion de Grenade, l’invasion de Panama, la première guerre du Golfe, les bombardements contre la Yougoslavie, l’invasion et l’occupation en cours de l’Afghanistan et de l’Irak.
Et je suis convaincu que si l’Irak avait choisi la voie prévue par les néo-conservateurs – qu’ils allaient être accueillis avec des douceurs et des fleurs et que la guerre serait du gâteau, comme ils le prétendaient – ils auraient tourné leurs canons sur la Syrie et l’Iran. Mais, maintenant, là, en raison du niveau de résistance de l’Irak – et n’oubliez pas l’Afghanistan non plus – ils ont dû mettre la pédale douce.
OK. Ainsi donc, qu’est-ce qui distingue fondamentalement les infos commerciales de la pub ?

DB. La distinction est devenue de plus en plus confuse. Nous connaissons des exemples où le Pentagone a produit des rapports d’infos sur vidéo et les ont ensuite transmis à plusieurs chaînes de télévision. C’est de la propagande à la grosse cuiller qui vient directement du Pentagone et qui est diffusée en tant qu’infos. Oui, il est censé y avoir une différence, mais cette différence est de plus en plus confuse. Il existe une relation de dépendance entre les journalistes des médias commerciaux et le pouvoir d’Etat. Ils dépendent du gouvernement pour les nouvelles, l’information, les faveurs et toutes sortes d’avantages. Thomas Friedman s’est vanté de ce qu’il jouait au golf avec le secrétaire d’Etat James Baker. Brit Hume a déclaré qu’il jouait au tennis avec Colin Powell. Si, d’autre part, vous êtes un journaliste qui travaille et, disons, que vous êtes assigné à la Maison-Blanche, et que vous posez des questions embarrassantes, ça ne durera pas longtemps, si vous demandez une entrevue avec le vice-secrétaire d’Etat au Moyen-Orient, par exemple, avant que vos appels téléphoniques demeurent sans réponse. En d’autres termes, on vous a mis sur une liste noire. Votre rédacteur en chef est à quia parce qu’il a besoin d’histoires en provenance des gens au pouvoir –il dépend des gens au pouvoir pour ses informations. Voilà le genre de relations incestueuses et de dynamique qui se poursuit à ce niveau. Vous risquez votre carrière, quand vous allez à l’encontre du pouvoir. Je me souviens d’Erwin Knoll, qui a été rédacteur en chef de Progressive Magazine. Il est mort il y a quelques années. Il m’a raconté un jour que, lorsqu’il était journaliste à Washington, il avait posé à Lyndon Johnson une question très embarrassante. Johnson l’avait quasiment envoyé paître et, après cela, Knoll s’était vu snober par la maison-Blanche.

OK. C’est dégueulasse.
DB. Après ça, il a été transféré. C’est leur façon de contrôler le jeu. Ce n’est pas une théorie du complot, c’est la façon dont le pouvoir fonctionne. Tenez, si vous étiez quelqu’un de puissant et moi, un journaliste, n’aimeriez-vous pas que j’écrire des trucs flatteurs sur votre compte… ?
OK. Sans aucun doute.
DB. … pour encenser ce que vous avez accompli face à une audience plus vaste, au niveau national ? Mais bien sûr que ça vous plairait. Mais il y a également une relation structurelle. Les médias électroniques font actuellement l’objet de licences de la part du gouvernement fédéral, de la Commission fédérale des communications (FCC). Ainsi donc, voici un autre secteur où s’établit une relation. Les ondes appartiennent au peuple des Etats-Unis. Elles constituent – c’est probablement difficile à mesurer – la ressource physique la plus valable des Etats-Unis.
On ne peut pas accaparer les ondes. On ne peut pas mettre son doigt dessus et les toucher. Mais les ondes font partie du patrimoine du peuple des Etats-Unis. Et qu’est-ce que la FCC a fait durant de nombreuses années ? Elle a dilapidé cette ressource précieuse et nous n’avons même rien obtenu, pour cela. Ils ne paient même pas pour le droit de faire de la propagande. Par contre, nous, nous payons pour le droit d’en recevoir. Tout cela en dépit du fait que le décret d’application de la FCC dit que les ondes appartiennent à tout le monde.
OK. Qu’en est-il de la réforme des télécommunications en 1996-97 ?

DB. La réforme des télécommunications de Clinton, en 1996, a déclenché un tsunami de fusions et de reprises. Elle a produit la plus grande concentrations de médias de l’histoire de l’humanité. C’est à l’époque où Clear Channel est parti de quelques douzaines de radios locales, qu’il a quitté sa base locale, San Antonio, pour en arriver aujourd’hui à plus de 1200 stations de radio. C’est devenu LE monopole dominant en radio. ET ça s’est passé sous la paire libérale Clinton-Gore et, je m’en souviens particulièrement, le libéral New York Times avait publié un éditorial, à l’époque où la législation était entrée en vigueur, disant que la législation allait produire un excellent filon pour le public américain. Il allait avoir plus de choix, plus de diversité. Il allait être le grand bénéficiaire de l’affaire…
Bruce Springsteen chantait cette chanson il y a dix ou quinze ans; « 57 chaînes et rien à voir ». Aujourd’hui, s’il devait réenregistrer l’affaire, il lui faudrait coller un zéro à la fin. Aujourd’hui, il y a 570 chaînes et toujours rien à voir. Il y a si peu d’information de valeur de disponible pour les consommateurs américains de télévision commerciale !
OK. Dieu merci, il y a PBS et NPR…
DB. Elles ont été créées pour être de véritables alternatives aux médias commerciaux. Mais elles-mêmes se sont largement commercialisées aussi. Elles ont ce qu’on appelle aujourd’hui des « garanties accrues ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Ca veut dire qu’elles sont commercialisées. Elles se sont déplacées vers la droite, sur le plan de leur programmation. PBS, par exemple, que j’appelle le Petroleum Broadcasting Service. Une part tellement importante de ses revenus vient d’Exxon Mobil et de Chevron-Texaco. NPR n’est plus que l’ombre non plus de ce qu’elle était. Je veux dire – et sans vouloir exagérer non plus, puisqu’elle n’a jamais cassé réellement des briques – qu’à ses débuts, elle « en » avait encore, elle avait encore un certain sens de la rébellion. Elle a été méchamment apprivoisée, depuis. Vous entendez les commentaires, les débats sur l’Irak… ça ne diffère pas tellement des médias commerciaux. C’est différent dans le secteur clé de la sophistication et de la politesse. Ils sont très sophistiqués. Ils sont très polis. Les gens s’expriment en phrases complètes. On ne vous interrompt pas. Personne ne vous crie dessus. (ce sont les caractéristiques de « Hardball » et des shows gueulards de la télévision commerciale). Et, par conséquent, c’est assez séduisant, vu sous cet angle, particulièrement pour les gens du niveau de la classe dirigeante. Ils aiment ça. Les gens qui ont fréquenté les collègues de l’Ivy League, vous savez, ils aiment avoir leurs infos, siroter un verre de porto et écouter quelque « discours pondéré ». Je suis très attentif, sur National Public Radio (NPR), à leur échantillonnage de l’opinion – peut-être va-t-il de A à D. Alors que dans les médias commerciaux, c’est peu-être de A à B. Ca ne fait pas une grosse différence. Tous deux grappillent sur le même Rolodex ou chez les mêmes experts et spécialistes des réservoirs à penser de Washington et New York : l’American Enterprise Institute, le Cato Institute, la Heritage Foundation, le Georgetown Center for Strategic Studies, le Conseil des Relations étrangères de New York…
Il y a une femme en particulier, que j’écoute, sur NPR. Elle s’occupe de « Sunday Edition », le matin. Elle s’appelle Lianne Hanson. Elle reçoit constamment des gens comme Walter Russell Meade, du Conseil des Relations étrangères, ou Kenneth Pollack de la Brookings Institution à D.C. Ces invités s’amènent et ils se livrent aux commentaires les plus infâmes. Ces commentaires passent tout simplement comme une lettre à la poste. Et ils reviennent de temps en temps. Il font partie du Rolodex bcbg, enfin, la liste des noms qui circule. Et des gens comme Michael Parenti, Noam Chomsky, Howard Zinn et bien d’autres qui se montrent très critiques ne passent même pas à l’antenne. Mais ils ne disent pas ce qu’il faudrait qu’ils disent. Ils ne disent pas des choses acceptables. Ils disent des choses qui se situent en dehors du spectre du « politiquement correct ».
Un gamin qui a fait l’école primaire peut voir de quoi il retourne. Si vous regardez les programmes, ou si vous lisez Newsweek, Time, le New York Times, le San Francisco Chronicle, le Washington Post et les autres journaux et magazines, quels sont les noms qui apparaissent ? Et à quelle fréquence n’apparaissent-ils pas ? Comment sont les spécialistes que l’on voit dans les talk-shows du dimanche matin ? Qui est présent à « Meet the Press » (Rencontre avec la presse) ? Ou « Face the Nation » ? Ce n’est pas compliqué…
OK. Tout ce blabla du style experts me rappelle la raison invoquée à tous ces problèmes que les militaires américains rencontrent à l’étranger : de « mauvais renseignements et informations ». La raison est citée textuellement dans les lignes mêmes des partis, et par des gens qui savent pertinemment bien quel rôle répressif la CIA et le FBI ont joué tout au long du siècle dernier.
DB. Et ne perdez pas de vue l’extrême condescendance à l’égard des lois internationales que cela implique. Si nous avions une CIA plus efficace, nous pourrions mener des guerres illégales d’agression avec bien plus d’efficacité aussi.

OK. Ces avis sur les médias commerciaux et publics contrastent fortement avec ce que vous dites sur les stations de radio <http://www.alternativeradio.org/radio_stations_carrying_ar.shtml> chaque semaine, depuis quasiment 20 ans.

DB. J’ai lancé Alternative Radio surtout en ayant en tête une mission de diffusion publique – donner une voix aux groupes qui, autrement, ne pourraient se faire entendre. J’ai accepté cette mission parce que les émissions publiques avaient abandonné ce créneau. Nous ne courons pas après l’argent des sociétés et des fondations alors qu’en fait, nous avons la possibilité de le faire. Ce dont nous avons besoin, c’est de constituer des coalitions avec des groupes marginalisés ici et dans le tiers monde. Aujourd’hui, à la radio et dans mes autres projets, j’essaie d’amener plus de voix du tiers monde. Deux des bouquins sur lesquels je travaille pour l’instant, par exemple, impliquent Arundhati Roy et Tariq Ali. Je pense qu’il est important de s’adresser à d’autres groupes qui se battent également pour la justice.
OK. Au nom de Dahr Jamail, d’Abou Talat et du webmaster Jeff Pflueger, merci pour nous avoir réservé un peu de votre temps.